OBSERMOTIO

Du magma

Séance du 28 mars 2024 à La Doua.
Référents scientifiques : Andrea Di Muro, Antoine Triantafyllou
Participants et participantes : Alex Bisch, Emma Calassou, Cyrielle Colin, Agathe Degouve, Andrea Di Muro, Nathalie Donjon, Leïla Haegel, Benseddk Hanaa, Sonia Heuninck, Sylvain Hilaire, Lucy Rohrbasser, Antoine Triantafyllou


Ces énoncés scientifiques ont initié des recherches de transpositions visuelles et spatiales, qui en sont inspirées sans en être l’illustration. Du fait d’une mise en commun des contenus textuels, les auteurs des énoncés ne sont pas toujours les auteurs des productions graphiques.


Définir le magma

Rédigé par Antoine Triantafyllou

Dans le cadre de cet atelier, nous proposons une vision des magmas de “bas en haut” depuis leur source dans le manteau terrestre jusqu’à l’alimentation et la construction d’édifices volcaniques en surface. Ce voyage s’articulera en trois étapes, en trois points de vue : la première s’intéressera à la genèse des magmas primaires, la deuxième au transport de ces magmas à travers la croûte terrestre et la troisième au lien entre la dynamique éruptive des volcans et la nature des magmas qui les alimentent. 

Mais avant cela, c’est quoi un magma ? Étymologiquement, un magma se définit comme une “sorte de bouillie”, “un résidu épais et visqueux d’un liquide”, un “mélange confus entre liquide et roche”. Voilà plusieurs termes indéfinis, qui sont le fruit d’observations de l’écoulement de laves volcaniques. Cependant, une lave, c’est un produit fini des éruptions volcaniques qui vient tardivement dans l’évolution trans-crustale d’un magma. Revenons aux sources… ces laves en surface témoignent d’une production de magmas en profondeur, mais à quelle profondeur ?


Magmas primaires et fusion partielle

Rédigé par Antoine Triantafyllou

Au XIXe siècle, les géologues tentent de comprendre la diversité chimique des roches magmatiques qu’ils observent en surface et s’accordent sur l’existence de deux magmas de composition bien distinctes : le premier plutôt clair, de composition granitique dont la source serait relativement superficielle et le deuxième, sombre, de composition basaltique dont la source serait bien plus profonde. Cette théorie posait des bases intéressantes mais ne proposait pas de mécanismes à l’origine de la diversification de ces magmas. Au cours des décennies qui ont suivi, une nouvelle idée émerge et propose que l’ensemble des roches et des magmas crustaux (relatifs à l’écorce terrestre) seraient dérivés d’une source commune, générant des magmas primaires pouvant ensuite se diversifier chimiquement. Les magmas primaires, c’est-à-dire ceux dont dérivent tous les autres magmas observés sur Terre, sont issus du manteau terrestre. Il s’agit d’un réservoir chaud mais majoritairement à l’état solide, riche en minéraux réfractaires dont les olivines et les pyroxènes. 

Pour y générer un liquide magmatique, il faut fondre ces roches réfractaires en perturbant la stabilité des minéraux qui le composent. On distingue classiquement trois mécanismes de fusion partielle des roches dont deux sont particulièrement bien exprimés dans les contextes de limite des plaques tectoniques

– Dans des contextes extensifs/divergents, comme ceux associés à l’activité des rides médio-océaniques et la majorité du volcanisme sous-marin, l’écartèlement des plaques tectoniques engendre localement une remontée du manteau qui se traduit par une diminution de la pression de confinement. Thermodynamiquement, cette décompression brutale permet la fusion partielle des roches du manteau. 

– Dans des contextes convergents/compressifs, comme ceux associés aux zones de subduction et au volcanisme explosif des Andes et d’ailleurs, les plaques tectoniques se chevauchent, sont enfouies dans le manteau terrestre. Cet enfouissement de croûte terrestre riche en éléments volatiles (eau, etc.) participe à l’hydratation du manteau avoisinant. A la manière des maîtres verriers qui ajoutaient de la soude ou de la potasse à leur sable siliceux pour abaisser son point de fusion et permettre le travail du verre, ajouter de l’eau à une roche mantellique réfractaire perturbe la stabilité de certains minéraux qui fondent partiellement et génèrent un liquide magmatique primaire. La distribution de ces petits incréments de magma au sein de la roche source est contrôlée par l’énergie interfaciale entre les grains. Dans certains cas, le magma peut s’accumuler dans des zones restreintes et former des petites poches de magmas aux joints des grains ou dans d’autres cas, il peut former des films fins enveloppant chacun des grains. C’est un jeu dynamique entre porosité et perméabilité de la roche fondue. Si le processus de fusion de celle-ci se poursuit et que le volume de magma produit augmente, ces liquides forment un réseau interconnecté qui confère une perméabilité forte à la roche fondue. Ces liquides peu visqueux et peu denses sont drainés via des canaux d’extraction pour alimenter la base de la croûte terrestre, initier un voyage transcrustal périlleux et permettre la diversité exceptionnelle des roches magmatiques et des édifices volcaniques que nous étudions à la surface terrestre.


Ascension des magmas

Rédigé par Antoine Triantafyllou

Les magmas primaires se forment dans le manteau et migrent vers la croûte terrestre. Certains d’entre eux parviennent à atteindre la surface, à construire des édifices, à les alimenter au cours d’éruptions volcaniques. Ce voyage transcrustal reste cependant assez énigmatique et soulève de nombreuses questions. Quelles sont les modalités de déplacement, de transfert d’un magma silicaté, relativement visqueux vers la surface au travers de plusieurs kilomètres de roche crustale ? 

Pendant plus d’un siècle, le modèle de chambre magmatique a dominé notre vision des processus magmatiques au sein de la croûte terrestre. De taille souvent kilométrique, cette “chambre” matérialise un site de collecte de liquide magmatique sur une longue période de temps, dans la croûte inférieure et/ou la croûte moyenne. A la manière d’une grotte souterraine saturée en magma, cette chambre jouerait un double rôle : celui d’un relais, d’un transit des liquides à travers la croûte mais aussi celui d’un site “filtrant” permettant la modification de la composition chimique des magmas primaires. Plus récemment, de nombreuses recherches et observations ont cependant montré que de telles cavités magmatiques sont difficiles à former et, si elles existent, seraient particulièrement instables et éphémères

Ces dernières décennies ont ainsi vu un changement de paradigme sur les modalités d’ascension des magmas en définissant au passage un nouveau concept, celui du système magmatique transcrustal. De quoi s’agit-il ? Ce modèle se veut novateur sur deux points. 

– Le premier concerne son architecture : les magmas ne transitent pas via une ou deux grandes chambres magmatiques avant d’atteindre les niveaux supra-crustaux mais plutôt, via une série de corps magmatiques de plus petites tailles subhorizontaux (qu’on appelle “sills”), qui s’entremêlent et s’alimentent les uns les autres de manière dynamique. Après un certain temps, le système magmatique s’apparente à un véritable réseau de plomberie naturel. Les réseaux de plomberie les plus profonds sont généralement plus mafiques/basaltiques en composition alors que le réseau intermédiaire a superficiel tend à être plus diversifié et plus évolué chimiquement, tendant vers des compositions plus granitiques. C’est amusant de voir comment ce modèle fait écho aux premières observations et la dichotomie des magmas datant du 19e siècle (voir point précédent).

– Le deuxième point concerne, quant à lui, la nature même des magmas en profondeur. Contrairement à la vision des grandes poches de liquides piégées, ici, un nouveau consensus est que la proportion de magma concentré est relativement faible à l’échelle de la croûte terrestre. Les “magmas” sont majoritairement représentés par de grands volumes de mush: ces zones très chaudes associant des assemblages très riches en cristaux. Ces grandes zones de mush enveloppent des zones relativement restreintes, pauvres en cristaux, riches en magmas. A nouveau, c’est amusant de constater comme la notion, devenue fondamentale, de mush résonne avec les premières définitions du mot “magma” comme un mélange confus entre liquide et roche, entre liquide et solide. Les liquides magmatiques migrent d’une zone de mush a une autre à la manière d’un empilement d’éponges gorgées de magma. La compaction d’une éponge permet la migration du magma vers une autre et ainsi de suite, permettant l’ascension successive, progressive du liquide magmatique et de former des liquides concentrés qui vont nourrir les éruptions volcaniques. Cette analogie a bien sûr ses limites car les zones de mush ne sont pas de simples éponges inertes, mais des assemblages réactifs. A chaque étape, les magmas en transit interagissent chimiquement avec les assemblages minéralogiques. Ces modèles mécaniques conceptuels commencent seulement à voir leur formulation physique, chimique et thermodynamique.


Dynamique éruptive et rôle des magmas

Rédigé par Antoine Triantafyllou

Les volcans sont des objets fascinants de la surface terrestre. Ils sont les témoins fondamentaux des transferts chimiques et thermiques entre le manteau, la croûte terrestre et les réservoirs externes avec lesquels nous interagissons directement, que sont l’oceano-, la bio- et l’atmo-sphères. Certaines éruptions volcaniques récentes, telles que celles du système volcanique de Fagradalsfjall sur la péninsule islandaise de Reykjanes, actif depuis 2021, sont inoffensives et constituent des sites touristiques exceptionnels. D’autres immobilisent sur une période donnée, une partie de notre économie, de nos flux physiques de transport ou encore détériorent ou détruisent des infrastructures privées ou publiques (exemple de l’éruption du volcan Eyjafjallajökull en 2010, toujours dans le Sud de l’Islande). Et finalement, certaines éruptions volcaniques telles que celle du volcan Marapi, sur l’île indonésienne de Sumatra, connaissent des pertes humaines liées à l’éruption sensu stricto ou aux conséquences de celles-ci (tsunamis, coulées de boues, etc.).

Cette diversité des dynamiques éruptives des volcans, on la doit entre autres à la composition des magmas qui les alimentent

Au terme de leur voyage transcrustal, les magmas présentent des différences de viscosité et de teneurs en gazs dissous. Dans les sites de collecte de magma subvolcanique (i.e. sous les volcans), les magmas connaissent des conditions de pression suffisamment fortes pour contenir les gazs sous leur forme dissoute. Lorsque les magmas entament leur ascension finale, la décompression s’accompagne d’une phase de bullage et de vésiculation des magmas. Plus le magma remonte, plus les volumes de gazs exsolvés augmentent, plus la vitesse d’ascension du mélange gaz-liquide augmente. De nombreuses vidéos récentes de lacs de laves actifs montrent la fragmentation du magma liée à l’explosion de ces bulles de gaz qui peuvent être pluri-métriques ! Un analogue classiquement utilisé pour illustrer ce phénomène est l’ouverture d’une bouteille d’une boisson gazéifiée que l’on aurait agitée au préalable. Un magma riche en éléments volatiles, ou en gaz, mais relativement peu visqueux, de composition basaltique par exemple représente un risque assez modéré car il possède une bonne capacité à faire migrer les bulles et à les extraire de sa phase liquide et ne laisser qu’une lave pouvant s’écouler, s’épancher sur les flancs du centre éruptif. On parle d’éruption effusive telle que l’activité récente du volcan islandais Fagradalsfjall ou des volcans hawaiiens. Pour revenir à notre analogie de la bouteille de boisson gazéifiée, c’est embêtant de voir sa boisson se vider devant soi mais le moment où la situation devient plus imprévisible, c’est celui du réflexe de vouloir boucher le trou avec sa main ou de mal refermer le bouchon; autrement dit, d’empêcher le magma de dégazer librement. Cette situation s’observe si le magma éruptif est de composition plus felsique, ce qui se traduit par une augmentation catégorique de sa viscosité et une diminution de sa capacité à dégazer. Les gaz sont piégés, accumulés, sous pression jusqu’à un seuil de rupture de la roche, la moindre instabilité de l’édifice volcanique peut alors engendrer une éruption explosive violente telle que la plupart des activités récentes des volcans indonésiens (e.g., Merapi en 2010, Marapi en 2023, Semeru en 2021). 

Les magmas terrestres sont tout simplement fascinants. Ce sont des phases de transport des éléments chimiques; des médias qui sont présents et interviennent à tous les niveaux et permettent les échanges efficaces depuis le manteau supérieur jusqu’à l’interface entre la Terre interne et les enveloppes externes avec lesquelles nous interagissons continuellement.